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Xavier Bertrand et Valérie Pécresse viennent de confirmer que le gouvernement répondait favorablement à la demande exprimée par Laurence Parisot, présidente du MEDEF, en octobre dernier d'instaurer une TVA sociale. Cela signifie simplement qu'une partie des cotisations sociales payées par les employeurs vont être supprimées et qu'en contrepartie, la TVA va augmenter.

Les cotisations payées par les entreprises sont l’un des piliers de notre modèle social. Elles permettent à chacun d’entre nous d’avoir accès à une retraite, à l’éducation, à la santé ou d’être protégés en cas d’accident. Ces cotisations – que l'on appelle parfois "charges", c’est bizarre quand on y pense – font partie de nos salaires. Et le gouvernement voudrait les faire baisser ? Pour augmenter la TVA ? La facture est donc présentée aux salariées et salariés. En double. Depuis plus de 20 ans, les gouvernements successifs ont voulu réduire le « coût du travail » à coup d’exonérations de cotisations, nous expliquant que cela créerait des emplois. Résultat, fin 2011, nous avons presque 10% de chômeurs en France. Très efficace.

Retraite, santé, allocations chômage, accidents du travail, indemnité journalières : depuis qu'elle est au pouvoir, la droite s'est acharnée à détruire notre système de protection sociale.

Pour sortir de la crise, il faut relancer la croissance. Et pour ceci, pas d’autre solution que d’augmenter le pouvoir d’achat et de créer des emplois. En baissant les salaires – mêmes indirects – pour augmenter la TVA, la droite fait exactement l’inverse.

Non à la TVA anti-sociale !

«C’est une mesure avant tout politique, défendue par le patronat depuis trente ans»

Philippe Askenazy est directeur de recherche au CNRS et professeur à l’Ecole d’économie de Paris. Auteur des Décennies aveugles (Seuil, 2011), il considère que la TVA sociale est «foncièrement inégalitaire et de surcroît inefficace».

Interview parue dans Libération le 5 janvier 2012 réalisée par CHRISTOPHE ALIX

Pourquoi s’agit-il d’une mauvaise mesure ?

Elle est d’abord très inégalitaire, puisqu’elle pèsera bien plus sur les plus modestes et les classes moyennes. Ce sont eux qui seront essentiellement touchés par cette hausse de la TVA, car la part du revenu consommé par les riches est moindre. Ce coût social élevé pourrait à la rigueur se justifier si cette mesure avait une réelle efficacité en termes d’emploi. Or, tout porte à croire que ce n’est pas le cas.

Selon vous, la TVA sociale ne crée pas d’emplois ?

Bien trop peu. Selon les différentes estimations, la TVA sociale ne créerait que quelques milliers d’emplois, peut-être 20 000 mais guère plus. Si l’on met en balance ces emplois créés face aux millions de foyers appauvris par la hausse de la TVA, on se rend compte que la TVA dite sociale ne peut se justifier au regard de l’efficience de la politique publique.

Pourquoi, dans ce cas, tenter de l’imposer au forceps à quelques mois de la présidentielle ?

C’est une mesure avant tout politique défendue par le patronat depuis presque trente ans, elle n’arrive pas par hasard. Elle fait partie d’une vaste offensive antiredistributive du système fiscal français. Elle est raccord, à ce titre, avec ce qui s’est fait l’an dernier avec l’allégement de l’ISF. Je suis plus surpris en revanche par le calendrier, quasiment impossible en termes de délais. Comment pourrait-on mettre en place une TVA sociale en quelques mois à peine, alors que des réformes préparées pendant bien plus longtemps, comme celle de la taxe professionnelle, se sont révélées au final mal ficelées ?

Tous les secteurs ne seront pas touchés de la même manière…

Beaucoup d’activités ne sont pas soumises à TVA, c’est le cas de la plupart des autoentrepreneurs ou, surtout, des services financiers. Dans ce dernier cas, il est vrai que l’absence de TVA est compensée par une surtaxe sur les salaires qu’il faudrait donc revoir pour ne pas avantager le monde de la finance. Mais comment le faire et à un juste niveau dans temps si bref ?

Au final, cette hausse mal préparée de TVA risque surtout de creuser un peu plus le déficit et d’aggraver les finances de l’Etat.

Les exemples danois et allemand ne plaident-ils pas pour une TVA sociale synonyme de plus de compétitivité pour les entreprises ?

Ces comparaisons sont sorties de leur contexte. Dans le cas de l’Allemagne, la hausse de la TVA visait avant tout à renflouer les caisses de l’Etat. La modeste baisse des charges qui l’a accompagnée n’est pour rien dans la bonne santé actuelle de l’industrie allemande. Quant au Danemark, la baisse des charges des entreprises parallèlement à la hausse de trois points de TVA n’a été qu’un élément parmi d’autres du pacte social. Cette économie très ouverte et très compétitive se caractérise par un niveau élevé des rémunérations, sans commune mesure avec ce que l’on trouve chez nous : près de 90% des salariés y gagnent plus de 2 000 euros par mois.

Peut-on attendre d’une TVA sociale un surcroît de compétitivité pour les entreprises françaises à l’export ?

Là encore, je crois que l’on se trompe de sujet. Si l’on prend les importations de produits en provenance de pays à bas coût de main-d’œuvre, il n’y a rien à attendre d’une variation de quelques points de TVA. Ca ne se verra pas plus qu’une variation de quelques centimes du cours de l’euro. Si l’on compare maintenant notre compétitivité avec notre principal partenaire allemand, qu’observe-t-on ? La production française, entend-on de l’autre côté du Rhin, a un bon rapport qualité-prix mais reste peu innovante. Notre problème est plus lié à une question d’offre, de compétitivité hors coût, de capacité de nos entreprises à se maintenir sur les marchés extérieurs. La TVA dite sociale ne peut modifier cette donne. Autrement dit, la TVA sociale ne changera rien à notre consommation de made in China et n’améliorera pas notre potentiel vis-à-vis de l’Allemagne. C’est un outil idéologique, qui nous condamne au surplace et surtout occulte les vraies questions posées à l’économie française.

La «TVA sociale», un dispositif injuste et antisocial

Par CHRISTIANE MARTY Fondation Copernic

Tribune publiée sur Libération le 3 janvier 2012.

L’idée de la «TVA sociale» resurgit régulièrement dans le débat politique, et encore récemment. Cette appellation désigne le projet de basculer sur la TVA tout ou partie des cotisations sociales patronales (les fameuses «charges» sociales). En contrepartie, les entreprises sont supposées répercuter la baisse de leurs cotisations sociales sur les prix hors taxes : ainsi la hausse du taux de TVA s’appliquerait sur un prix abaissé et serait invisible pour le consommateur, tout au moins pour ce qui est produit en France. Les produits importés verraient leur prix augmenter, ce qui avantagerait alors la production française sur le marché intérieur… La recette serait toujours affectée au financement de la Sécurité sociale, mais circulerait par un autre «tuyau». Selon ses partisans, ce transfert permettrait de réduire le coût du travail, la compétitivité des entreprises s’en trouverait améliorée et les délocalisations évitées. Effet magique d’un changement de tuyau ?

La réalité est différente. Le plus probable est en effet que les entreprises ne répercutent pas, ou pas totalement, la baisse des cotisations sociales sur les prix hors taxes (HT), et qu’en résulte une hausse des prix toutes taxes comprises (TTC). Loin du procès d’intention, cette anticipation s’appuie sur l’expérience. Les baisses de TVA passées ne se sont jamais retrouvées intégralement dans les prix, les entreprises en profitant pour augmenter les taux de marge et les dividendes versés. Ainsi, les baisses de TVA à 5,5% dans les travaux immobiliers en 1999 et dans la restauration en 2009 n’ont été répercutées qu’à 57% et 60% respectivement. Deux rapports remis en septembre 2007 par Christine Lagarde, alors ministre de l’Economie, et par Eric Besson, alors secrétaire d’Etat chargé de la Prospective, notent également que la TVA sociale serait génératrice de hausse des prix.

La TVA sociale revient de fait à une substitution de payeurs : les entreprises voient leurs cotisations sociales baisser et les ménages voient augmenter les prix des biens et services, qu’ils soient produits en France ou importés. On comprend l’enthousiasme du Medef. Tous les consommateurs seraient touchés par ce renchérissement général des prix à la consommation et donc par une baisse du pouvoir d’achat, mais tous ne le seraient pas de la même façon. Ce serait sur les catégories les plus modestes que pèserait le plus la TVA dite sociale car, plus on descend dans la hiérarchie des revenus, plus la part de budget consacrée à la consommation est élevée.

A défaut d’être socialement juste, la TVA sociale serait-elle au moins efficace ? Pas plus. Selon l’antienne libérale, le coût du travail en France grève la compétitivité des entreprises et il faut l’alléger. Ce n’est pas ce qu’établissent les statistiques de l’Insee et d’Eurostat : le coût du travail français dans l’industrie manufacturière - le secteur exposé à la concurrence internationale - est équivalent à celui de nos voisins allemands, qui n’ont pas de problème d’exportation ni de compétitivité. D’autre part et surtout, focaliser ainsi sur le coût du travail permet d’occulter… le coût du capital qui pèse symétriquement dans les comptes des entreprises. Or, c’est bien l’explosion des dividendes, accompagnant la compression de la part salariale, qui caractérise l’évolution des coûts ces dernières décennies : la part, dans la valeur ajoutée, des dividendes nets versés aux actionnaires est passée de moins de 3% à plus de 8% en vingt-cinq ans, pendant que la part des salaires reculait de 8 points. Si un coût doit baisser, c’est bien celui du capital.

Enfin, penser que cette TVA sociale permettrait d’éviter les délocalisations relève de l’illusion. La baisse de quelques points de cotisations sociales, en admettant même un instant qu’elle soit répercutée sur les prix, est tout à fait incapable de compenser l’écart de coût salarial avec les pays de l’Europe centrale et orientale : le coût du travail y est en effet 5 à 7 fois moins cher que dans les pays d’Europe de l’Ouest. Sans parler de la Chine, avec laquelle ce rapport tourne plutôt entre 8 et 15 (1). En outre, cette obsession sur le coût du travail relève d’une incompréhension (ou d’une occultation volontaire ?) des mécanismes qui fondent les décisions des employeurs. En effet, bien d’autres éléments que le coût du travail entrent dans les décisions de délocaliser, comme la présence ou non d’infrastructures de qualité, de services publics ou de débouché local pour les produits.

La TVA sociale ne répond donc à aucun des objectifs affichés. Si on comprend son intérêt pour les marges des employeurs, on voit mal ce que la grande masse de la population aurait à y gagner. Depuis trente ans, le système fiscal a subi de nombreuses transformations qui vont toutes dans le même sens : l’allégement de la fiscalité sur les plus riches, les entreprises, le patrimoine. Cet allégement représente un manque à gagner considérable et c’est lui qui est à l’origine du déséquilibre des finances publiques. La TVA sociale ne ferait qu’ajouter un nouveau dispositif injuste à l’empilement des mesures prises depuis plus de vingt ans. Revenir sur ces mesures, réformer la fiscalité de manière à la rendre plus redistributive doit faire partie des urgences politiques.

Coauteure de : «Un impôt juste pour une société juste», Syllepse, 2011.

(1) Ndlr: «entre 8 et 15» et non «autour de 30».