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«C’est une mesure avant tout politique, défendue par le patronat depuis trente ans»

Philippe Askenazy est directeur de recherche au CNRS et professeur à l’Ecole d’économie de Paris. Auteur des Décennies aveugles (Seuil, 2011), il considère que la TVA sociale est «foncièrement inégalitaire et de surcroît inefficace».

Interview parue dans Libération le 5 janvier 2012 réalisée par CHRISTOPHE ALIX

Pourquoi s’agit-il d’une mauvaise mesure ?

Elle est d’abord très inégalitaire, puisqu’elle pèsera bien plus sur les plus modestes et les classes moyennes. Ce sont eux qui seront essentiellement touchés par cette hausse de la TVA, car la part du revenu consommé par les riches est moindre. Ce coût social élevé pourrait à la rigueur se justifier si cette mesure avait une réelle efficacité en termes d’emploi. Or, tout porte à croire que ce n’est pas le cas.

Selon vous, la TVA sociale ne crée pas d’emplois ?

Bien trop peu. Selon les différentes estimations, la TVA sociale ne créerait que quelques milliers d’emplois, peut-être 20 000 mais guère plus. Si l’on met en balance ces emplois créés face aux millions de foyers appauvris par la hausse de la TVA, on se rend compte que la TVA dite sociale ne peut se justifier au regard de l’efficience de la politique publique.

Pourquoi, dans ce cas, tenter de l’imposer au forceps à quelques mois de la présidentielle ?

C’est une mesure avant tout politique défendue par le patronat depuis presque trente ans, elle n’arrive pas par hasard. Elle fait partie d’une vaste offensive antiredistributive du système fiscal français. Elle est raccord, à ce titre, avec ce qui s’est fait l’an dernier avec l’allégement de l’ISF. Je suis plus surpris en revanche par le calendrier, quasiment impossible en termes de délais. Comment pourrait-on mettre en place une TVA sociale en quelques mois à peine, alors que des réformes préparées pendant bien plus longtemps, comme celle de la taxe professionnelle, se sont révélées au final mal ficelées ?

Tous les secteurs ne seront pas touchés de la même manière…

Beaucoup d’activités ne sont pas soumises à TVA, c’est le cas de la plupart des autoentrepreneurs ou, surtout, des services financiers. Dans ce dernier cas, il est vrai que l’absence de TVA est compensée par une surtaxe sur les salaires qu’il faudrait donc revoir pour ne pas avantager le monde de la finance. Mais comment le faire et à un juste niveau dans temps si bref ?

Au final, cette hausse mal préparée de TVA risque surtout de creuser un peu plus le déficit et d’aggraver les finances de l’Etat.

Les exemples danois et allemand ne plaident-ils pas pour une TVA sociale synonyme de plus de compétitivité pour les entreprises ?

Ces comparaisons sont sorties de leur contexte. Dans le cas de l’Allemagne, la hausse de la TVA visait avant tout à renflouer les caisses de l’Etat. La modeste baisse des charges qui l’a accompagnée n’est pour rien dans la bonne santé actuelle de l’industrie allemande. Quant au Danemark, la baisse des charges des entreprises parallèlement à la hausse de trois points de TVA n’a été qu’un élément parmi d’autres du pacte social. Cette économie très ouverte et très compétitive se caractérise par un niveau élevé des rémunérations, sans commune mesure avec ce que l’on trouve chez nous : près de 90% des salariés y gagnent plus de 2 000 euros par mois.

Peut-on attendre d’une TVA sociale un surcroît de compétitivité pour les entreprises françaises à l’export ?

Là encore, je crois que l’on se trompe de sujet. Si l’on prend les importations de produits en provenance de pays à bas coût de main-d’œuvre, il n’y a rien à attendre d’une variation de quelques points de TVA. Ca ne se verra pas plus qu’une variation de quelques centimes du cours de l’euro. Si l’on compare maintenant notre compétitivité avec notre principal partenaire allemand, qu’observe-t-on ? La production française, entend-on de l’autre côté du Rhin, a un bon rapport qualité-prix mais reste peu innovante. Notre problème est plus lié à une question d’offre, de compétitivité hors coût, de capacité de nos entreprises à se maintenir sur les marchés extérieurs. La TVA dite sociale ne peut modifier cette donne. Autrement dit, la TVA sociale ne changera rien à notre consommation de made in China et n’améliorera pas notre potentiel vis-à-vis de l’Allemagne. C’est un outil idéologique, qui nous condamne au surplace et surtout occulte les vraies questions posées à l’économie française.